Nous avons déjà parlé de l’émergence de la blockchain sur ce blog, et de ses applications pour l’économie réelle avec l’exemple de LaZooz. Très utilisée dans le monde financier, cette récente technologie est porteuse de promesses pour de nombreuses industries liées à l’information. Regardons de plus près les possibilités offertes aux secteurs des médias et du divertissement.

Récapitulatif : c’est quoi la blockchain ?

Une blockchain est une structure de données sous forme d’un livret numérique qui est partagé et distribué à un réseau d’ordinateurs (nœuds). On peut voir ça comme un tableur partagé type Google sheet, sauf qu’au lieu d’être hébergé chez Google, une copie actualisée est détenue par chaque utilisateur.

En utilisant des techniques de cryptographie, chaque utilisateur peut accéder et manipuler la chaîne de blocs d’informations (blockchain) de façon sécurisée, sans autorité centrale ou quelconque intermédiaire. Ce qui lui confère de nombreux avantages :

Fiable et disponible : Du fait du grand nombre d’utilisateurs, le système n’a pas un seul point de rupture et est conçu pour résister aux attaques. Si un noeud d’utilisateurs rompt, les autres continueront de maintenir l’information disponible.

Transparente : L’ensemble de l’information est visible afin d’augmenter la confiance.

Inviolable : Il est quasiment impossible de pirater la blockchain sans être détecté. Il faudrait pour cela corrompre plus de 50% des nœuds (un exploit technologique de plus en plus improbable).

Irrévocable : Ce qui est inscrit ne peut pas être effacé, garantissant la mémoire des informations.

Numérique : Presque tout document ou actif peut être exprimé en code et encapsulé ou référencé dans une entrée de la blockchain. Ce qui signifie que cette technologie a de très larges applications, bien que peu soient mises en oeuvre, et la plupart insoupçonnées,

source

Explication d’une transaction blockchain par BlockchainPartner

En conséquence, on peut imaginer que l’innovation blockchain soit un moteur de transformation des organisations et des business models dans presque tous les secteurs d’activités.

Les stratégies actuelles des médias

L’arrivée d’internet a déjà chamboulé le monde des médias en diminuant le coût technique de l’édition du contenu à presque zéro. L’objectif est maintenant d’avoir la plus grande audience pour capter les données des visiteurs et les revendre en promettant l’attention de cette audience de différentes façons (CPM, CPC, affiliation, sponsoring, …).

Chacun rivalise donc d’ingéniosité pour capter la donnée utilisateur, proposant des informations et des services “gratuits” pour attirer les foules : Google avec Docs ou AMP, BFM avec l’info en continu, Spotify avec le streaming musical, mais aussi Linkedin, Allociné, Buzzfeed, Legorafi…

Dans l’ère d’information d’aujourd’hui, les business models des groupes média (et même de la plupart des entreprises) se réduisent globalement à un processus en trois étapes :

  1. Capter, monopoliser et privatiser des données
  2. Créer une rareté artificielle en restreignant l’accès à la donnée
  3. Packager et vendre la donnée de nombreuses manières

Google et Facebook augmentent ainsi leur emprise en captant des données utilisateurs, monopolisant et restreignant son accès, puis vendent ces données sous forme d’un service de publicité ciblée.

Le jeu est d’attirer une audience qualifiée, peu importe le contenu qui l’attire. Et revendre cette donnée : si c’est gratuit, vous êtes le produit.

Pourquoi la blockchain peut bouleverser l’ordre établi ?

La bataille de l’attention est sans fin

Le business model actuel montre ses limites. En se développant, les nouveaux médias qui promettent aux annonceurs l’attention des utilisateurs, génèrent une prolifération exponentielle de la quantité d’information à laquelle un internaute est exposé. Or notre attention est limitée par nos capacités biologiques. Capter notre attention et la convertir en capital (en nous faisant cliquer sur des pubs) devient donc exponentiellement plus difficile.

Pour sortir du lot, les éditeurs et sites d’info sortent encore plus de titres sensationnels (clickbait) et de publicités intrusives. Comme les utilisateurs utilisent en retour de plus en plus les adblockers (11% en France), ils reviennent avec des publicités natives.

Illustration de la concurrence pour l’attention des internautes (source)

La blockchain permet de distribuer la valeur

Par design, la blockchain réduit le besoin d’un intermédiaire entre deux parties puisque tout est automatisé. Les plateformes de distribution se transforment en protocoles et dapps (decentralized apps) gérés par des smart contracts. Ces contrats régissent l’interaction entre le producteur de la valeur et son consommateur. Une telle structure automatisée n’a pas besoin de générer du profit, uniquement de couvrir ses coûts de fonctionnement.

Ainsi, lorsqu’un utilisateur achète une chanson sur une dapp, le détenteur des droits se voit verser la quasi-totalité de la somme moins un coût de fonctionnement minime – le coût de l’électricité pour faire tourner la transaction – et évite la commission de 30% de la plateforme iTunes. Le contrat intelligent peut également facturer un coût réduit pour une écoute unique à la demande (streaming).

Par ailleurs, les techniques de cryptographie utilisées par la blockchain permettent de certifier l’authenticité d’une donnée. On peut ainsi vérifier l’unicité d’une transaction, mais aussi d’une identité ou d’un contenu. Dans l’idée, une donnée numérique ne peut être utilisée sans que son détenteur le sache. Cela permet donc d’empêcher une oeuvre numérique d’être copiée, et d’empêcher des plateformes comme Facebook d’utiliser nos identités et nos contenus comme bon leur semble.

Imaginez un protocole de streaming de vidéo, où chaque producteur possède son contenu et est rémunéré automatiquement en fonction de son utilisation. A mesure que la quantité de vidéos augmente, des agrégateurs de contenus verront le jour, facilitant le choix des contenus pour les consommateurs et simplifiant l’usage. Pour mettre en relation producteurs et consommateurs, ces acteurs pourront demander un abonnement aux producteurs, mais pas de “taxer” le contenu si le protocole ne le permet pas. Il y a donc toujours création de valeur, mais cette valeur est distribuée entre tous les acteurs et non plus concentrée sur la plateforme d’intermédiation.

Quelles sont les initiatives actuelles ?

Le développement de la blockchain Ethereum, qui prend en compte le concept de smart contracts et l’échange d’actifs numériques, les tokens, a permis aux développeurs de lancer plusieurs projets.

Il existe ainsi un protocole de place de marché permettant les micro-paiements, trop taxés actuellement pour être rentables en-dessous de 1€. Pour les media, ces micro-paiements permettent de développer des services de contenus-à-la-demande, pour lire un article, écouter une chanson, ou visionner une courte vidéo. Des services d’abonnement existent actuellement (Lemonde.fr, Spotify …), mais si je veux juste lire un seul article premium, le prix de 1€ parait cher.

Plusieurs médias existent déjà sur la blockchain, permettant aux créateurs une transparence sur la consommation de leur contenus et leurs royalties.

Mieux rémunérer les créateurs

La plateforme musicale Ujo Music, sorte d’iTunes Store version blockchain, permet aux artistes de posséder et contrôler leurs créations et d’être payé directement en partageant leurs talents musicaux.

Dans le même genre, on peut citer Monegraph pour les oeuvres d’art ou encore Ascribe. Le concept Rarepepe va même plus loin en créant une structure de troc d’actif digitaux authentiques, sous la forme incongrue de cartes-meme à échanger.

Le site de blogging Steemit, à l’image de Reddit, fait ressortir les contenus de qualité en rémunérant les rédacteurs à hauteur de 75%, et les curateurs qui votent pour la pertinence des articles à hauteur de 25%. Il introduit pour cela 2 tokens :

Grâce à ce système, Steemit veut augmenter rapidement le nombre d’utilisateurs et donc la valeur de ses Steem dollars.

Un autre acteur sur ce créneau d’édition est Decent.

Un facebook sur la blockchain ?

La valeur créée par les utilisateurs des réseaux sociaux actuels est contrôlée par le réseau lui-même.

Synereo veut la laisser aux mains des membres de son réseau décentralisé et distribué, en récompensant leur activité sociale. Le fonctionnement de ce concept n’est pas encore clair, mais on peut imaginer que le like de Facebook devienne un token, un actif numérique afin de récompenser le contenu qui crée de la valeur pour le réseau.

Avec son système de ranking et d’influence, Userfeeds veut décentraliser Twitter ou Reddit, mais également les systèmes de vote actuels. Dès lors, on peut imaginer que la valeur d’influence, la valeur media, se monnaye directement grâce à ces réseaux.

Remplacer les géants de la publicité en ligne ?

Il est souvent reproché à Google de connaître toutes nos données. Le fondateur de JavaScript, Mozilla et Firefox veut ainsi rendre aux internautes leur anonymat envers les éditeurs et annonceurs, tout en imaginant un système de publicité en ligne distribué.

Avec le Basic Attention Token (BAT), il récompense les internautes et les éditeurs en leur donnant des BATs en fonction de l’attention des internautes envers les publicités sur le site de l’éditeur. Les annonceurs peuvent toujours cibler leurs audiences, mais ils ne sont plus obligés de faire confiance aux éditeurs quant aux données de consultation de leurs publicités (clics, vues), puisqu’elles sont inscrites dans la blockchain. L’anonymat est assuré par l’utilisation d’un navigateur développé par la même équipe, Brave.

Explication du fonctionnement du Basic Attention Token

Dans le même registre, adChain a lancé adToken pour plus de transparence dans la chaîne de valeur de la publicité en ligne. L’objectif de ce token encore en beta est de fournir une “vue globale de toute la data associée à une impression pub” et de savoir qui a accès à quelle donnée. Derrière cette promesse, adToken veut lutter contre la fraude sur les comptage des CPM en affichage programmatique.

Conclusion

Le monde des médias promet d’être bousculé de nouveau dans les prochaines années. Ces projets restent cependant encore très confidentiels et restreints à une communauté de développeurs initiés.

Même si les promesses sont fortes, le réel changement viendra de l’adoption de la technologie par le grand public, ce qui pourrait ne jamais arriver à l’image de Linux, très prometteur dans les années 90. Comme indiqué par Alex Ruppert, investisseur dans le domaine, “Peu importe si le service est construit sur la technologie blockchain, ce qui compte pour les gens c’est l’utilité et le prix”. L’enjeu est donc pour les porteurs de projets blockchain de construire des offres grand public avec un bénéfice fort pour l’individu.

L’adoption n’est pas encore là, mais autant s’y préparer pour ne pas se retrouver dépassé.

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